Volume 30 : Chapitre 4, Cloches de l’aube 1–10
Cloches de l’aube 1
L’Allemagne est le berceau de la réforme religieuse qui a marqué une nouvelle ère dans l’histoire de l’Europe.
Au début du XVIᵉ siècle, alors que le clergé était de plus en plus corrompu, que les enseignements chrétiens se transformaient en vaines formalités et que l’Église se sécularisait, le pape à Rome autorisa le commerce des indulgences en Allemagne. On assurait aux croyants que, en achetant ces indulgences vendues par l’Église, ils obtiendraient le pardon de leurs péchés.
Le moine et théologien Martin Luther (1483-1546) remit en question cette pratique. Il affirmait que le salut ne s’achetait pas et ne pouvait venir que de la foi. Il publia ses Quatre-Vingt-Quinze Thèses en signe de protestation, événement qui constitua le point de départ de la Réforme protestante.
Luther fut excommunié par le pape, mais il resta ferme dans ses convictions. Convaincu que la Bible devait être la seule autorité en matière de foi chrétienne, il la traduisit en allemand. Il formula également sa doctrine du sacerdoce de tous les croyants, affirmant que tous les êtres humains étaient égaux devant Dieu.
Shin’ichi Yamamoto renouvela sa détermination : « Plus de quatre siècles se sont écoulés depuis la Réforme engagée par Martin Luther. À l’aube du XXIᵉ siècle, une religion au service du bonheur des êtres humains, une religion qui peut libérer toute l’humanité de la souffrance, doit prendre son essor. »
Avec le projet de développer kosen rufu en Europe, Shin’ichi atterrit à l’aéroport de Francfort le 16 mai 1981 à 20 h 30. C’était sa première visite en Allemagne de l’Ouest depuis seize ans.
Le lendemain, 17 mai, Shin’ichi rencontra le professeur émérite Gerhard Olschowy et le Pr Josef Derbolav de l’université de Bonn, accompagné de son épouse Rita. Le Pr Olschowy était connu pour ses recherches sur la protection de l’environnement, tandis que le Pr Derbolav était une autorité en matière de pédagogie et de philosophie grecque. Shin’ichi rencontra aussi séparément ce jour-là le Pr N. A. Khan de l’université libre de Berlin. Le Pr Khan, oto-rhino-laryngologiste, était né en Inde et s’intéressait de près à la religion. Ils étaient tous de vieux amis de Shin’ichi et tout le monde apprécia ces retrouvailles. Shin’ichi les accueillit à l’hôtel à Francfort où une réunion d’échanges amicaux était prévue l’après-midi même pour célébrer le 20ᵉ anniversaire du mouvement de kosen rufu en Allemagne.
Les défis auxquels l’humanité est confrontée aujourd’hui sont complexes, interdépendants et très variés. C’est pourquoi Shin’ichi cherchait à approfondir ses liens avec des experts dans tous les domaines, à construire un solide réseau de personnes de sagesse au service de la paix et de la prospérité pour toute l’humanité, et à créer un courant susceptible d’influencer l’époque.
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Au cours de leur conversation à Francfort, Shin’ichi et le Pr Derbolav décidèrent de publier un dialogue.
Les conversations qu’ils menèrent au cours des six années suivantes constituèrent le fondement du texte. On dit que le Pr Derbolav s’était tellement réjoui de recevoir les épreuves du manuscrit qu’il les gardait à son chevet.
Le dialogue fut publié en japonais en avril 19891, mais le Pr Derbolav, malheureusement décédé en juillet 1987 à l’âge de 75 ans, n’a jamais vu le livre achevé.
Shin’ichi continua de mener des dialogues avec des spécialistes de différents domaines et de veiller tout particulièrement à leur publication. Une détermination profonde résidait à l’origine de cette démarche. Il savait que l’objectif ultime de toutes les disciplines d’apprentissage et de toutes les sphères d’activité, telles que la politique, l’économie, l’éducation et les arts, n’était autre que le bonheur humain, la prospérité sociale et la paix.
Nichiren avait affirmé que tous les domaines de l’activité humaine, depuis le gouvernement jusqu’à la vie quotidienne, sont en accord avec le bouddhisme, citant ainsi Tiantai : « Aucune affaire de ce monde liée à la vie et au travail n’est en quoi que ce soit contraire à la réalité ultime. » (Écrits, 915) Shin’ichi souhaitait mettre en lumière cette réalité indéniable à travers ses dialogues avec divers expertes et experts.
De plus, pour résoudre fondamentalement les nombreux problèmes auxquels l’humanité est confrontée (destruction de l’environnement, éducation, armes nucléaires, guerre, discrimination, pauvreté, etc.), il faudrait que les êtres humains eux-mêmes se transforment. C’est la raison pour laquelle Shin’ichi souhaitait montrer à quel point il était nécessaire de diffuser la philosophie de vie suprême qu’est le bouddhisme de Nichiren et d’en faire l’esprit sous-jacent de l’époque. En échangeant des idées et en s’inspirant des points de vue et de la sagesse de personnalités de premier plan dans différents domaines, il était en quête de perspectives et de solutions pratiques pour surmonter tous ces problèmes.
Il était conscient que ses dialogues ne déboucheraient peut-être que sur un nombre limité de propositions ou d’idées concrètes pour remédier à ces divers maux, mais il avait bon espoir et était convaincu que ses initiatives inciteraient de nombreux jeunes à suivre son exemple et à éclairer la voie de l’avenir pour l’humanité.
Transmettre une philosophie et un mode de pensée qui inspirent, c’est comme allumer un phare qui illumine l’avenir.
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Une brise rafraîchissante faisait frissonner les arbres. La réunion d’échanges amicaux se tint dans le jardin de l’hôtel dans l’après-midi du 17 mai, avec la participation de quelque 800 membres venus de huit pays. Des représentantes et représentants des Pays-Bas, du Danemark, de Suède, de Norvège, d’Autriche et d’Italie, ainsi qu’une délégation du Japon, se joignirent aux membres allemands pour réaffirmer leur vœu commun d’une diffusion mondiale du bouddhisme de Nichiren.
Une scène avait été montée, sur laquelle une série de spectacles musicaux furent présentés au public. Ils illustraient les épreuves traversées par les jeunes Japonais venus s’installer en Allemagne avec le souhait de contribuer au kosen rufu mondial et qui avaient ouvert la voie dans ce pays en travaillant dans les mines de charbon.
La plupart de ces jeunes hommes n’avaient aucune expérience comme mineurs avant de venir en Allemagne. Les travaux éreintants les épuisaient et ils n’appréciaient guère la nourriture locale telle que le pain de seigle. Mais ils surent trouver le courage de faire de leur mieux pour mener à bien les activités de la Soka Gakkai.
Shin’ichi avait lancé un appel passionné dans son éditorial d’août 1963 paru dans le Daibyakurenge : « Mes jeunes amis ! Devenez des personnes de premier plan dans le monde ! » et celui-ci résonnait dans leur cœur.
Les efforts et le travail acharné de ces jeunes hommes et d’autres courageux pionniers qui les avaient rejoints avaient porté leurs fruits, et de nombreux bodhisattvas surgis de la Terre étaient apparus en Allemagne.
Le président Toda avait la ferme conviction qu’ « une nouvelle ère serait créée par la passion et la force de la jeunesse2 ».
Ensuite, un groupe d’enfants monta sur scène et chanta la joie de retrouver le mois de mai si porteur d’espoir. Tout le monde applaudit chaleureusement.
Dieter Kahn, directeur général de la Soka Gakkai en Allemagne, monta à son tour sur scène et déclara avec une émotion évidente : « Enfin, enfin ! Notre rêve de ces seize dernières années a fini par se réaliser. Le président Yamamoto est ici avec nous en Allemagne ! »
Les membres allemands avaient entendu dire que certains moines de la Nichiren Shoshu et d’autres continuaient d’attaquer et de harceler injustement les membres au Japon. Ils entreprirent alors avec bravoure et détermination d’accélérer le rythme de kosen rufu en Allemagne et d’ouvrir de nouveaux horizons pour ce mouvement dans le monde entier.
Dans leur enthousiasme, ils étaient prêts à relever tous les défis et à triompher.
Cloches de l’aube 4
Plusieurs invités étaient également présents à cette rencontre amicale, dont le Pr N. A. Khan de l’université libre de Berlin. Lorsqu’ils prirent la parole, tous exprimèrent de grands espoirs pour ce mouvement de paix ancré dans les idéaux bouddhiques que Shin’ichi s’attachait à promouvoir.
Enfin, Shin’ichi prit le micro. « Nous avons le droit d’être heureux sur cette Terre, déclara-t-il. Nous avons le droit de vivre en paix. Nous avons le droit de vivre en liberté. Quelle est donc la clé pour que cela devienne une réalité ? Je voudrais affirmer que c’est le bouddhisme de Nichiren.
« Pourquoi ? Parce que tout commence par l’être humain et parce que rien n’est plus précieux que la vie. Le bouddhisme de Nichiren met en lumière la nature véritable de la vie, enseigne que tous les êtres humains possèdent l’état inégalé et suprêmement noble qu’est la bouddhéité, et montre la voie à suivre pour que chaque personne puisse trouver un bonheur et une paix indestructibles. Et c’est la Soka Gakkai qui met ce bouddhisme en pratique.
« De même que le Soleil illumine toutes les régions du globe et que sa lumière profite à tous, le bouddhisme de Nichiren est un enseignement qui apporte le bonheur véritable à tout le monde, et qu’on appelle pour cette raison même le bouddhisme du soleil.
« Les expériences personnelles de nos membres dans le monde entier témoignent de ce pouvoir indéniable. J’espère que chacune et chacun d’entre vous baignera dans la lumière de ce grand bouddhisme, que vous revitaliserez vos vies respectives et que vous construirez un bonheur indestructible.
« Une religion qui ne parvient pas à aider une personne à devenir heureuse et à mener une vie épanouie ne peut pas réaliser la paix dans le monde et libérer les êtres humains de la souffrance.
« J’espère que chacune et chacun d’entre vous, mes amis, restera fidèle à la pratique de ce bouddhisme du soleil et goûtera un bonheur indestructible.
« Aujourd’hui, notre rassemblement de compagnons dans la pratique du bouddhisme de Nichiren est peut-être modeste, mais soyez assurés que dans trente, cinquante ou cent ans, ce jour brillera dans l’Histoire comme le début d’un grand élan imprimé au mouvement de kosen rufu pour le bonheur et la paix. »
Shin’ichi souhaitait réaffirmer que, tout comme les activités de la Soka Gakkai en faveur de la paix, la pratique bouddhique n’avait d’autre objet que le bonheur de chaque personne.
La paix n’est pas la simple absence de guerre. La paix véritable existe lorsque les êtres humains peuvent savourer la joie d’être en vie et mener une vie emplie de bonheur et de satisfaction véritables.
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Dans l’après-midi du 18 mai, Shin’ichi se rendit au centre culturel de Francfort, où il participa à une cérémonie de Gongyo célébrant le 20ᵉ anniversaire du mouvement de kosen rufu en Allemagne. Il assista également à une plantation d’arbres commémorative et se joignit aux photos de groupe, à la grande joie des membres qui avaient œuvré avec tant d’ardeur à ouvrir la voie de kosen rufu en Allemagne.
Après la réunion, un échange informel sur la foi eut lieu avec Shin’ichi, qui déplora le fait que l’Allemagne restât divisée entre Est et Ouest. « Comme vous le savez, le capitalisme et le communisme sont dans l’impasse. Notre but n’est pas de critiquer l’un ou l’autre système. Les activités que nous menons en tant que bouddhistes consistent d’abord à mettre en lumière les individus qui composent chaque société.
« Pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui, il faut que les gens maîtrisent leurs désirs insatiables, s’efforcent de réaliser leur propre bonheur et celui des autres, et créent les plus grandes valeurs possibles dans leur vie et dans la société. Aucun système social, quels que soient ses idéaux, ne saurait être abouti ou viable sans la transformation intérieure des personnes elles-mêmes, c’est-à-dire sans une révolution humaine.
« Le bouddhisme de Nichiren élucide la loi fondamentale qui régit l’Univers. Notre foi en cette loi nous permet de manifester l’état de vie qu’est la bouddhéité, source de créativité illimitée, qui existe en chacune et chacun de nous.
« Devant les troubles et la confusion qui marquent la société, notre pratique bouddhique nous donne les moyens de révéler notre bouddhéité intérieure et de faire jaillir une énergie vitale nouvelle. Elle nous donne la force et nous montre la direction pour avancer avec confiance sur le chemin de la vie, du bonheur et de la paix.
« De plus, le bouddhisme enseigne que, plutôt que de chercher le bonheur dans une sorte de paradis éloigné de ce monde, nous pouvons établir un bonheur indestructible là où nous sommes, dans la réalité de notre vie quotidienne. »
Shin’ichi voulait faire comprendre aux membres que, en ces temps de plus en plus chaotiques, la recherche de la solide philosophie de vie qu’offre le bouddhisme de Nichiren constituerait une source d’espoir immense dans la vie des gens et dans le monde.
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Shin’ichi aborda ensuite le sujet du divorce, l’une des questions sur lesquelles le directeur général et d’autres responsables de l’organisation en Allemagne l’avaient consulté.
Le divorce était devenu de plus en plus courant en Europe et dans d’autres pays occidentaux, et les membres cherchaient parfois des conseils à ce propos. Les responsables allemands avaient demandé à Shin’ichi comment affronter cette situation en tant que bouddhistes.
Shin’ichi souhaita réaffirmer une position fondamentale sur ce sujet.
« Le divorce est devenu un problème courant dans la société d’aujourd’hui, mais je crois que nous devrions éviter de nous mêler de trop près des affaires privées de ce type et nous abstenir de toute ingérence. C’est une question qui relève de la responsabilité individuelle de chaque personne, qui doit y réfléchir attentivement pour soi-même.
« Je peux cependant affirmer que bâtir son propre bonheur sur le malheur d’autrui est contraire à la voie bouddhique.
« Ce qui compte, c’est que le couple concerné ait un dialogue profond sur sa situation. Si les partenaires pratiquent tous deux le bouddhisme de Nichiren, ils devraient réciter Daimoku pour trouver une solution, en gardant toujours à l’esprit des aspects tels que l’avenir de leurs enfants. J’espère qu’ils feront tout leur possible pour chercher un compromis respectueux de chacun d’eux et trouver ainsi la meilleure solution. Il est aussi utile de rappeler que le divorce ne garantit en rien que l’on transforme son karma.
« Les responsables doivent toujours respecter la personnalité et les droits des personnes qui viennent leur demander conseil dans ce domaine et ne jamais divulguer ce qu’on leur dit. Ne violez jamais la vie privée des membres en parlant de leur situation à qui que ce soit, pas même à votre famille ou à vos amis. Soyez conscients que, si vous enfreigniez ce principe, non seulement vous porteriez préjudice aux parties concernées, mais vous compromettriez la confiance que les gens ont placée en vous et en la Soka Gakkai, ce qui vous disqualifierait en tant que responsables.
« Je tiens à réaffirmer qu’il s’agit d’une règle absolue que tous les responsables doivent respecter, non seulement en Allemagne, mais aussi au Japon et partout ailleurs.
Shin’ichi désirait répondre aux questions et aux préoccupations des membres de manière claire et compréhensible. C’est pourquoi, depuis son arrivée à Francfort, il s’était entretenu avec le plus grand nombre possible de membres et écoutait ce qu’ils avaient à dire.
C’est en apportant des réponses aux questions qui préoccupent les gens qu’on permet l’essor joyeux et dynamique du mouvement de kosen rufu.
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Ensuite, Shin’ichi expliqua pourquoi l’organisation qu’est la Soka Gakkai était nécessaire.
« Certaines personnes pensent peut-être que les organisations et les libertés individuelles sont des notions contradictoires. Mais les groupes de tous types, y compris les entreprises et les nations, ont besoin d’une organisation structurée pour atteindre leurs objectifs. La Soka Gakkai, elle aussi, doit s’organiser pour permettre à chaque membre de s’engager dans la foi, la pratique et l’étude, et pour promouvoir le mouvement de kosen rufu.
« Vous tous et toutes avez rencontré le bouddhisme de Nichiren, que vous pratiquez aujourd’hui parce que nous disposons d’une organisation. Une telle structure est également nécessaire pour permettre à de nombreuses personnes de progresser de manière encadrée. Sans organisation, nous pourrions facilement nous enfermer dans des principes de notre propre cru et devenir égocentriques dans notre pratique, ou attachés à nos vues ou opinions personnelles. Si cela se produisait, nous nous écarterions de la foi, de la pratique et de l’étude correctes, et nous ne serions plus en mesure d’établir un mode de vie juste, ancré dans la Loi merveilleuse.
« Lorsque les gens pratiquent seuls, ils perdent souvent de vue la voie à suivre. Pour rester constants dans la foi, nous avons besoin de nous unir aux autres. Nous avons besoin de nous motiver mutuellement à vivre courageusement, de nous exhorter mutuellement à ne pas relâcher nos efforts dans notre pratique bouddhique et de nous soutenir les uns les autres pour rester sur le bon chemin. De ce point de vue, je pense que l’importance du cadre offert par l’organisation devient évidente.
« N’oubliez pas, cependant, que l’organisation n’est qu’un moyen et que sa raison d’être est de prodiguer conseils et orientations afin que chaque membre puisse renforcer sa foi et devenir heureux. L’objectif de l’organisation qu’est la Soka Gakkai est d’aider chaque personne à atteindre le bonheur absolu et la bouddhéité.
« De plus, les fonctions dans l’organisation ne signifient pas qu’il existe une hiérarchie entre les membres. Les responsables de la Soka Gakkai doivent être au service de la cohésion.
« C’est pourquoi j’espère que vous vous respecterez, que vous vous comprendrez, que vous vous ferez confiance et que vous vous encouragerez les uns les autres en tant que membres d’une société commune et que vous mènerez ensemble une vie victorieuse. »
La Soka Gakkai est une organisation unique en son genre et inégalée, qui s’efforce d’apporter le bonheur aux gens et la paix dans le monde, ou, en d’autres termes, d’accomplir kosen rufu. C’est précisément la raison pour laquelle Josei Toda a déclaré que l’organisation qu’est la Soka Gakkai était plus importante pour lui que sa vie.
Cloches de l’aube 8
Après l’échange, Shin’ichi et son groupe visitèrent la maison de Goethe à Francfort.
Trois jours auparavant, Shin’ichi avait visité la résidence de Tolstoï à Moscou.
Dans sa jeunesse, pendant la période tumultueuse de l’après-guerre au Japon, Shin’ichi avait dévoré les écrits de Goethe, Tolstoï et d’autres grands auteurs et puisé dans leurs pages force et espoir pour l’avenir.
En visitant les domiciles de ces géants de la littérature et en observant l’environnement dans lequel ils avaient vécu, Shin’ichi cherchait à approfondir sa compréhension de leur caractère et de leurs œuvres. Il se disait aussi que, si l’occasion se présentait un jour, il aimerait parler aux jeunes de ces auteurs et de leurs œuvres.
La maison de Goethe était un édifice de cinq étages, qui avait brûlé en 1944, lors du bombardement de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale, puis avait ensuite été restauré.
Shin’ichi et son groupe parcoururent chaque pièce, visitant la cuisine, la salle à manger, le salon, la salle de musique et la galerie de tableaux. La famille Goethe était, dit-on, l’une des plus riches de Francfort à l’époque, et le mobilier était grandiose et luxueux.
Au troisième étage se trouvait le cabinet de travail où Goethe avait écrit Les Souffrances du jeune Werther et commencé la rédaction de son grand chef-d’œuvre, Faust. Un bureau d’une certaine hauteur se dressait dans la pièce. On dit que Goethe mettait un point d’honneur à écrire en se tenant debout, ce qui laissait ressentir la vigueur de sa jeunesse.
Tolstoï et Goethe vécurent fort longtemps pour leur époque : ils atteignirent en effet tous deux l’âge de 82 ans et écrivirent jusqu’au bout. Comme s’il pressentait la fin de sa vie grandiose, Goethe nota que, au moment même où il s’apprêtait à quitter ce monde, le Soleil demeurait sublime3.
Shin’ichi pensa que, à 53 ans, il était encore jeune. Il se dit : « Le véritable combat de ma vie commence maintenant. Pour construire les fondations du kosen rufu mondial et préparer le terrain pour nos jeunes successeurs, je dois continuer de travailler et d’écrire aussi longtemps que je vivrai ! »
Après avoir terminé son itinéraire en Allemagne de l’Ouest, Shin’ichi embarqua à 13 heures le 20 mai à bord d’un vol à destination de la Bulgarie.
Cloches de l’aube 9
La chaîne de montagnes encore enneigées des Balkans scintillait sous les rayons du Soleil. Environ deux heures et demie après avoir quitté Francfort, Shin’ichi et son groupe atterrirent à l’aéroport de Sofia, la capitale de la République populaire de Bulgarie (aujourd’hui République de Bulgarie), alors pays communiste d’Europe de l’Est. Il s’agissait de la première visite de Shin’ichi, pour honorer l’invitation que lui avait faite le Gouvernement par l’intermédiaire de son Comité de la culture.
Sofia était une ville verdoyante entourée de montagnes. À l’aéroport, Shin’ichi et son groupe furent accueillis par Milcho Germanov, premier vice-président du Comité de la culture, et d’autres personnes. Le soir, Shin’ichi présenta ses hommages au Comité et assista à un banquet de bienvenue organisé dans un hôtel.
Le lendemain matin, le 21 mai, Shin’ichi visita le mausolée de Georgi Dimitrov (1882-1949), premier à avoir occupé la fonction de Premier ministre en Bulgarie après la guerre. Il déposa une couronne de fleurs et pria pour le Premier ministre et pour la paix. Le mausolée se trouvait sur la place du 9 Septembre (aujourd’hui place de Battenberg), nommée ainsi pour honorer la révolution socialiste bulgare.
Shin’ichi rencontra ensuite Nacho Papazov, président du Comité des sciences et du progrès technique. Le président se remettait d’une maladie, et son état de santé soulevait des inquiétudes car il n’avait pas été vu lors des derniers événements officiels.
« Je suis juste venu vous présenter mes salutations à l’occasion de mon arrivée en Bulgarie et saurai rester bref », lui dit Shin’ichi.
« Je vais bien maintenant », lui répondit M. Papazov avec un sourire. « J’attendais ce jour avec impatience et j’avais hâte de faire votre connaissance. »
Le président avait été ambassadeur de Bulgarie au Japon de 1967 à 1971. Durant cette période, il avait eu l’occasion d’entendre Shin’ichi s’exprimer et en avait conservé une forte impression. Comme il se souvenait que l’université Soka était alors en construction, il demanda si elle avait déjà ouvert ses portes. À la réponse de Shin’ichi : « Cela fait déjà dix ans », le président Papazov sourit, visiblement enchanté.
Shin’ichi prit l’engagement de continuer de faire tout son possible pour promouvoir les échanges entre le Japon et la Bulgarie. Puis, alors qu’il se levait pour prendre congé, M. Papazov fit un geste pour l’arrêter. « J’apprécie beaucoup votre délicatesse et votre souci pour ma santé, mais j’ai l’autorisation de mon médecin pour la rencontre d’aujourd’hui. Je vous en prie, asseyez-vous. »
Shin’ichi pouvait déceler un sentiment d’urgence dans la voix du président.
Un esprit avide d’apprendre et de progresser recherche toujours le dialogue.
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« Je ne voudrais pas vous surmener », dit Shin’ichi.
Mais le président Papazov insista de nouveau pour qu’il reste et lui parla longuement en lui ouvrant son cœur : « J’ai la plus grande estime pour vos activités, et en particulier pour votre dévouement, par désir de paix, aux échanges culturels afin de favoriser la compréhension mutuelle. Depuis mon séjour au Japon en tant qu’ambassadeur, j’ai nourri le vif espoir que vous viendriez un jour en Bulgarie. Aujourd’hui, ce rêve est devenu réalité et j’en suis profondément heureux.
« Comme vous le savez, la Bulgarie, située dans la péninsule balkanique, est depuis longtemps un carrefour de civilisations. De ce fait, elle a connu d’innombrables batailles et est tombée sous la domination successive des empires macédonien, romain et byzantin. Les Mongols l’ont envahie et l’Empire ottoman l’a dominée pendant cinq siècles. Les Bulgares ont également connu d’amères souffrances pendant les Première et Seconde Guerres mondiales.
« Toutes ces raisons font que la paix mondiale est mon vœu le plus cher ; non, que dis-je ? C’est celui de tous les Bulgares. C’est pourquoi je place de grands espoirs dans vos efforts de paix et je prie pour qu’ils portent de riches fruits. »
Ses paroles débordaient d’un fervent désir de paix.
« En tant que président du Comité des sciences et du progrès technique, poursuivit-il, je serais très heureux que, dans l’avenir, les universités bulgares puissent avoir des échanges avec l’université Soka que vous avez fondée. »
Exprimant à nouveau son inquiétude pour la santé du président, Shin’ichi lui dit : « Prenez soin de vous pour le bien de votre pays. » Les deux hommes échangèrent alors une ferme poignée de main.
L’après-midi, après une rencontre avec le ministre de l’Éducation Alexander Fol dans les bureaux du ministère, Shin’ichi visita l’université de Sofia. Fondée en 1888, c’était la plus ancienne université nationale de Bulgarie. Shin’ichi allait y recevoir un doctorat honoris causa en sciences de l’éducation et en sociologie et donner une conférence commémorative. Il s’agissait de la troisième institution académique à lui remettre un diplôme honorifique, après l’université d’État de Moscou et l’université nationale principale de San Marcos au Pérou.
Les échanges entre universités, centres d’apprentissage, créent des réseaux au service de la paix qui se perpétueront dans l’avenir.
- *1L’ouvrage a été publié en anglais sous le titre Search for a New Humanity (À la recherche d’une nouvelle humanité).
- *2Traduit du japonais. Josei Toda, « Seinen-kun » (Orientations pour la jeunesse), Toda Josei zenshu (Œuvres complètes de Josei Toda), vol. 1, Tokyo, Seikyo Shimbunsha, 1992, p. 58.
- *3Traduit de l’allemand. Johann Wolfgang von Goethe, Goethes Gespräche: Gesamtausgabe (Conversations de Goethe : compilation complète), édité par Flodoard Freiherr von Biedermann, vol. 4, Leipzig, F. W. v. Biedermann, 1910, p. 445.